Pétrole et changement climatique : quel lien ?

Le pétrole, pilier de l'économie mondiale depuis plus d'un siècle, se trouve aujourd'hui au cœur des débats sur le changement climatique. Cette ressource fossile, à la fois moteur de développement et source majeure d'émissions de gaz à effet de serre, cristallise les tensions entre croissance économique et préservation de l'environnement. Alors que la communauté scientifique tire la sonnette d'alarme sur l'urgence climatique, l'industrie pétrolière se trouve face à un défi sans précédent : comment concilier son modèle économique avec les impératifs de réduction des émissions ? Cette question complexe soulève des enjeux technologiques, politiques et sociétaux qui façonneront l'avenir énergétique de notre planète.

Mécanismes d'émission de gaz à effet de serre liés à l'exploitation pétrolière

L'exploitation pétrolière est une source majeure d'émissions de gaz à effet de serre (GES) tout au long de sa chaîne de valeur. De l'extraction à la consommation finale, en passant par le raffinage et le transport, chaque étape contribue à l'empreinte carbone du secteur. Comprendre ces mécanismes est essentiel pour appréhender l'ampleur du défi climatique auquel l'industrie pétrolière est confrontée.

Procédés d'extraction et raffinage : sources majeures de CO2

L'extraction du pétrole brut nécessite des opérations énergivores qui génèrent d'importantes quantités de dioxyde de carbone (CO2). Les techniques de forage, les pompes d'extraction et les équipements de traitement sur site consomment des volumes considérables d'énergie, souvent produite à partir de combustibles fossiles. Le raffinage, étape cruciale de transformation du pétrole brut en produits utilisables, est particulièrement intensif en énergie et en émissions. Les procédés de distillation, de craquage et de reformage requièrent des températures élevées, obtenues par la combustion d'hydrocarbures, libérant ainsi du CO2 dans l'atmosphère.

L'industrie pétrolière a réalisé des progrès en matière d'efficacité énergétique, mais les émissions liées à l'extraction et au raffinage restent substantielles . Selon l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE), ces activités représentent environ 15% des émissions totales du secteur pétrolier.

Torchage et dégazage : émissions de méthane dans l'atmosphère

Le torchage et le dégazage sont des pratiques courantes dans l'industrie pétrolière qui contribuent significativement aux émissions de méthane, un gaz à effet de serre nettement plus puissant que le CO2 sur une période de 20 ans. Le torchage consiste à brûler le gaz naturel excédentaire extrait avec le pétrole, tandis que le dégazage libère directement ce gaz dans l'atmosphère.

Ces pratiques, bien que réduites ces dernières années sous la pression réglementaire et environnementale, restent problématiques. La Banque Mondiale estime que le torchage seul émet annuellement environ 400 millions de tonnes de CO2 équivalent. La réduction de ces émissions représente un levier d'action crucial pour l'industrie pétrolière dans sa lutte contre le changement climatique.

Transport et stockage : fuites et déversements accidentels

Le transport du pétrole, que ce soit par oléoducs, navires-citernes ou camions, est également source d'émissions de GES. Les fuites et déversements accidentels, bien que relativement rares, peuvent avoir des conséquences environnementales désastreuses. Au-delà de la pollution directe des écosystèmes, ces incidents libèrent des hydrocarbures qui, en se décomposant, émettent des gaz à effet de serre.

Le stockage du pétrole et de ses dérivés dans des réservoirs peut aussi générer des émissions fugitives de composés organiques volatils (COV), précurseurs de l'ozone troposphérique, un gaz à effet de serre. L'amélioration des infrastructures de transport et de stockage est donc un enjeu majeur pour réduire l'empreinte carbone du secteur pétrolier.

Impact du pétrole sur le réchauffement climatique : chiffres et projections

L'impact du pétrole sur le réchauffement climatique est considérable et bien documenté. Les données scientifiques accumulées au fil des décennies dressent un tableau alarmant de la contribution du secteur pétrolier aux émissions globales de gaz à effet de serre. Ces chiffres servent de base aux projections climatiques et orientent les politiques de lutte contre le changement climatique.

Contribution du secteur pétrolier aux émissions globales de GES

Le secteur pétrolier est responsable d'une part significative des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), l'extraction, la production et la combustion du pétrole représentent environ 35% des émissions anthropiques de CO2. Cette contribution massive place l'industrie pétrolière au cœur des stratégies de décarbonation de l'économie mondiale.

En chiffres absolus, le secteur pétrolier émet annuellement près de 12 milliards de tonnes de CO2 équivalent. Cette quantité colossale souligne l'urgence de transformer en profondeur les modes de production et de consommation d'énergie à l'échelle globale.

Scénarios du GIEC et rôle des hydrocarbures dans les trajectoires climatiques

Les scénarios élaborés par le GIEC pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C ou 2°C au-dessus des niveaux préindustriels impliquent une réduction drastique de la consommation d'hydrocarbures. Dans son rapport spécial sur le réchauffement à 1,5°C, le GIEC indique que pour atteindre cet objectif, la production de pétrole devrait diminuer de 37% d'ici 2030 et de 87% d'ici 2050 par rapport aux niveaux de 2010.

Ces trajectoires représentent un défi colossal pour l'industrie pétrolière, dont le modèle économique repose sur l'exploitation continue des réserves d'hydrocarbures. La transition vers un monde bas-carbone nécessite donc une transformation radicale du secteur, avec des implications majeures pour l'économie mondiale.

Effets à long terme de l'exploitation pétrolière sur les écosystèmes

Au-delà des émissions directes de gaz à effet de serre, l'exploitation pétrolière a des effets à long terme sur les écosystèmes qui amplifient le changement climatique. La déforestation liée à l'exploration pétrolière, par exemple, réduit la capacité des forêts à absorber le CO2 atmosphérique. De même, la dégradation des sols et la pollution des océans diminuent l'efficacité des puits de carbone naturels.

Ces impacts indirects sont parfois difficiles à quantifier mais jouent un rôle non négligeable dans l'accélération du réchauffement climatique. Une étude publiée dans la revue Nature Climate Change estime que la perte de biodiversité due à l'exploitation pétrolière pourrait réduire la capacité de séquestration du carbone des écosystèmes de 4 à 8% d'ici 2050.

L'industrie pétrolière se trouve à un carrefour historique : soit elle se réinvente pour s'aligner sur les objectifs climatiques, soit elle risque de devenir un actif échoué dans un monde décarbonné.

Stratégies de décarbonation de l'industrie pétrolière

Face à l'urgence climatique et à la pression croissante des régulateurs et de la société civile, l'industrie pétrolière développe diverses stratégies pour réduire son empreinte carbone. Ces initiatives, qui vont de l'amélioration de l'efficacité opérationnelle à l'investissement dans les énergies renouvelables, témoignent d'une prise de conscience du secteur quant à la nécessité de se transformer.

Technologies de capture et stockage du carbone (CSC)

La capture et le stockage du carbone (CSC) est une technologie sur laquelle l'industrie pétrolière mise beaucoup pour réduire ses émissions. Cette technique consiste à capter le CO2 émis lors des processus industriels, à le comprimer, puis à l'injecter dans des formations géologiques profondes pour un stockage à long terme. Plusieurs grands groupes pétroliers, comme ExxonMobil et Shell, investissent massivement dans le développement et le déploiement de ces technologies.

Cependant, la CSC reste controversée en raison de son coût élevé et de son efficacité à grande échelle encore à prouver. Selon l'AIE, pour que la CSC joue un rôle significatif dans l'atténuation du changement climatique, il faudrait que sa capacité soit multipliée par 20 d'ici 2030. Ce défi technologique et économique soulève des questions sur la viabilité de cette solution à long terme.

Transition vers les énergies renouvelables : cas de total et shell

Certaines compagnies pétrolières s'engagent dans une diversification de leurs activités vers les énergies renouvelables. Total, rebaptisé TotalEnergies, a annoncé son ambition de devenir un acteur majeur de la transition énergétique, avec un objectif de 100 GW de capacités de production d'électricité renouvelable d'ici 2030. De même, Shell investit dans l'éolien offshore et le solaire, tout en développant ses activités dans l'hydrogène vert.

Cette transition n'est pas sans défi. Les marges dans les renouvelables sont généralement plus faibles que dans le pétrole, ce qui nécessite une adaptation du modèle économique. De plus, ces investissements restent minoritaires par rapport aux activités pétrolières traditionnelles, suscitant des critiques sur la sincérité de l'engagement des compagnies dans la lutte contre le changement climatique.

Optimisation des processus et réduction des émissions fugitives

L'industrie pétrolière travaille également à l'optimisation de ses processus pour réduire les émissions à la source. Cela inclut l'amélioration de l'efficacité énergétique des raffineries, la réduction du torchage et du dégazage, et la lutte contre les émissions fugitives de méthane. Ces efforts, bien que moins visibles que les grands projets de CSC ou d'énergies renouvelables, peuvent avoir un impact significatif sur l'empreinte carbone du secteur.

Par exemple, l'initiative Oil and Gas Climate Initiative (OGCI), qui regroupe 12 des plus grandes compagnies pétrolières mondiales, s'est fixé un objectif de réduction de l'intensité carbone des opérations d'exploration et de production de 20 à 21 kg CO2e/boe d'ici 2025. Cette approche d'optimisation continue est essentielle pour réduire l'impact climatique du pétrole à court et moyen terme.

Politiques climatiques et régulation du secteur pétrolier

Les politiques climatiques et la régulation jouent un rôle crucial dans l'évolution du secteur pétrolier face au défi du changement climatique. Les accords internationaux, les législations nationales et les mécanismes économiques façonnent le cadre dans lequel l'industrie doit opérer et s'adapter. Ces politiques visent à inciter, voire contraindre, le secteur à réduire son empreinte carbone et à accélérer sa transition vers des modèles plus durables.

Accord de paris et objectifs de réduction pour l'industrie des hydrocarbures

L'Accord de Paris, adopté en 2015, constitue le cadre de référence international pour la lutte contre le changement climatique. Bien qu'il ne fixe pas d'objectifs spécifiques pour l'industrie pétrolière, son ambition de limiter le réchauffement global à bien en-dessous de 2°C, et si possible à 1,5°C, implique une réduction drastique de la consommation d'hydrocarbures.

Pour atteindre ces objectifs, de nombreux pays ont adopté des engagements de neutralité carbone à l'horizon 2050. Ces objectifs nationaux se traduisent par des pressions accrues sur l'industrie pétrolière pour réduire ses émissions. Par exemple, la France a adopté en 2019 la loi énergie-climat qui prévoit la fin de la production d'hydrocarbures sur son territoire d'ici 2040, illustrant la tendance croissante à la régulation du secteur.

Taxe carbone et systèmes de quotas d'émission : impacts sur la production

La tarification du carbone, que ce soit sous forme de taxe ou de système de quotas d'émission, est un outil économique privilégié pour inciter les entreprises à réduire leurs émissions. Le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (EU ETS) est le plus vaste marché du carbone au monde et inclut les raffineries de pétrole dans son périmètre.

L'impact de ces mécanismes sur la production pétrolière est significatif. Un prix du carbone élevé peut rendre certains projets d'extraction non rentables, notamment pour les pétroles non conventionnels plus intensifs en carbone. Selon une étude de Carbon Tracker, un prix du carbone de 40$/tonne pourrait rendre non viables jusqu'à 40% des investissements prévus dans de nouveaux champs pétroliers.

Normes d'efficacité énergétique et réglementations anti-torchage

Les gouvernements imposent également des normes d'efficacité énergétique et des réglementations spécifiques pour réduire les émissions du secteur pétrolier. Les réglementations anti-torchage, en particulier, se multiplient à travers le monde. La Banque Mondiale a lancé l'initiative Zero Routine Flaring by 2030 , à laquelle de nombreux pays et entreprises ont adhéré, s'engageant à mettre fin au torchage

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